Writing Prompt n°1

"They thought I'd forget. But I remembered. Everything." par Tomiadeyemi.com, trouvé sur Pinterest.

Traduction: "Ils pensaient que j'oublierais. Mais je me suis souvenu. De tout."

Le destin des hommes


Nous étions perdus en mer. L'espoir de revoir la terre ferme nous avait quitté. Cela n'avait pas d'importance. Nous étions des prisonniers.

Le capitaine de L'Evadora était un imbécile. Personne n'était dupe concernant les intentions de Sa Majesté Anaoh. Nous n'allions pas au pénitencier. Qui avait déjà entendu parler d'une prison sur l'eau ? Certes, il y avait Alcatraz, mais nous en étions loin, destinés à périr dans l'océan infini qu'est l'Atlantique. Notre capitaine, aveuglé par sa dévotion à Sa Majesté Anaoh, refusait de voir que la seule issue de cette expédition était la mort.

Il y a quelques jours ㄧ à moins que ce ne fut quelques heures ㄧ, Enrich Lizodel, capitaine à la tête de L'Evadora, avait péri. Le scorbut n'épargne personne.

Les vivres diminuaient avec notre envie de vivre. La folie agitait l'esprit des hommes et l'aiguille des boussoles. Impossible de se repérer. Les étoiles se jouaient de nous. Plus d'un homme se jeta à la mer. D'autres en appelaient à la miséricorde de Sa Majesté Anaho, à la pitié divine. Seules les vagues sur lesquelles tanguaient notre navire répondaient à leurs plaintes.


Puis advint la tempête qui aurait dû nous tuer. Le vent hurlait comme une furie entre les voiles. Les cordages rompus claquaient le dos des hommes se démenant sur le pont. Des murs d'eau s'abattaient sur nous, noyant nos poumons et nos gorges. L'unique lumière provenait des éclairs; ils déchiraient les nuages comme les sourires du diable.

J'ai pensé mon heure venue. Quant à savoir si je finirais au Paradis ou en Enfer, je l'ignorais. En m'en remettant à l'avis des Hommes, je méritais ma place aussi bien dans l'un que dans l'autre.


Nous échouâmes sur une plage. Le ciel était tranquille lorsque je revint à moi, déniant toute violence survenue plus tôt. Le soleil tapait mon front. Le sable emplissait mes oreilles. J'étais vivant!


Un visage se pencha au-dessus du mien, dissimulé par d'épaisses lunettes teintées et un masque à gaz. Je fermais les yeux trop tard. Dès lors que l'on me mit sur mes pieds je regrettais de n'être au fond de l'eau dans un quelconque abîme pour nager avec les poissons.


Le véritable cauchemar commença.


Nous étions parvenus à destination: le centre pénitentiaire Triwaber.


Une prison contre les ennemis de la couronne. Les meurtriers, les mercenaires, les voleurs et les bandits, les pauvres et les vieillards étaient envoyés sur cette île dont personne ne revenait.

Ce n'était pas la première fois que l'on essayait de me laver le cerveau. J'avais été emprisonné auparavant, ces méthodes et ces outils m'étaient familiers.

Néanmoins, cachant ma lucidité derrière des yeux vitreux, je marchais en rythme avec les badauds ayant survécus jusqu'ici. Je m'inclinais devant les statues et les autels érigés en l'honneur de Sa Majesté Anaho. Ma langue léchait la terre sur laquelle Ses cheveux avaient été posés. Ma voix ne vibrait plus que pour chanter Sa gloire et prier pour Son bonheur.

J'avais perdu un œil, quatre dents et cinq phalanges avant que mon esprit ne soit "brisé" par mes tortionnaires, que ma volonté ne cède. Et me voilà, vêtu de mon plus bel habit de marionnette aux yeux vides.

Nous n'étions pas destinés à rester sur l'île jusqu'à nos vieux jours.
Nous fûmes lavés, coiffés et parfumés. Nous revêtîmes l'habit et le masque des soldats. 
Ceux ayant perdus trop de membre lors de notre séjour furent tués. De mon côté, je m'appliquai à garder les yeux ouverts, secs, et la bouche close lorsque l'on fixa au bout de mes doigts amputés des prothèses métalliques.

J'appréhendais de reprendre la mer. Le centre pénitentiaire de Triwaber était caché dans une zone maritime impossible. L'entrée y était difficile, je n'osais en imaginer la sortie.
À mon grand soulagement, partir par la voie des eaux n'était pas envisagé.

Nous fûmes emmenés devant une porte. Nous descendîmes en file indienne un escalier en colimaçon qui s'ouvrait sur un couloir étroit se perdant dans les ténèbres.
Au bout de quinze heures de marche, un second escalier se dessina.
Cinq de mes camarades de fortune avaient trouvé la mort. Leur épuisement les empêchaient de garder une cadence acceptable.

Je connaissais cet endroit: la caserne de l'armée de Sa Majesté Anaoh.

Ainsi le pénitencier y était lié… intéressant.

Les cloches annonçant l'arrivée de Sa Majesté Anaoh tintèrent.
Nous tombâmes à genoux, bras écartés, yeux clos et tête rejetée en arrière. Quinze minutes plus tard, les portes s'ouvrirent. Sa Majesté Anaoh entra.
Retenir sa respiration. Ne pas polluer Son oxygène.

"Médecin, toi à qui j'ai confié la santé et le destin de ces hommes, parles.

— Ô Majesté Anaoh, Vous dont la grandeur fait pâlir les montagnes aux sommets de diamant et rougir les miroirs qui reflètent Votre âme, Sage Anaho, les malades ne sont plus; voyez Vos nouveaux disciples dont les yeux ont été éclairés par Votre lumière."

Sa Majesté défila devant chacun de nous. Lorsque Sa main se posait sur notre front marqué par le fer rouge, nous ouvrions les yeux et, ravagés par les remords d'avoir voulu nuire à un règne aussi bon que le Sien, nous éclations en sanglots.

À travers les larmes et les hoquets qui déchiraient ma poitrine, j'entendis le médecin affirmer que nul souvenir de l'île et nul souvenir du passage secret ne demeurait dans notre mémoire. Nous étions voués tout entier à servir Sa Majesté jusqu'à notre dernier souffle.

Sous la torture et sous l'hypnose, ils pensaient que j'oublierais.
Mais je me suis souvenu.
De tout.

Et alors que je me relevais pour rentrer dans les rangs, ce fut pour moi une certitude qu'il ne s'agissait plus que d'une question de temps avant que la tête d'Anaoh ne roule dans la boue.

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